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Le Brouillard des Âmes : l’égrégore du monde moderne

Chaque année, c’est la même scène.


Le 31 octobre, les rues se remplissent de masques, de toiles d’araignées en plastique et de citrouilles sculptées. On fait semblant de rire de la mort, de la peur, du sang. Et le lendemain, on va déposer des fleurs sur des tombes en silence.


Un contraste violent. Une sorte de grand écart énergétique entre le marketing de la peur et le recueillement du sacré.


Historiquement, Halloween (Samhain dans la tradition celtique) marquait le passage entre les mondes : la fin d’un cycle, le moment où le voile entre les vivants et les morts s’amincit. C’était une période de bascule, de purge, d’introspection, où l’on honorait les ancêtres, où l’on fermait symboliquement l’année avant de renaître à la suivante.


Mais ce rituel ancestral de conscience est devenu une mascarade commerciale : déguisements de sorcières, bonbons, peurs caricaturées… tout ce qui, au départ, symbolisait la transformation intérieure et la communion avec l’invisible, s’est transformé en marché du macabre et en égrégore de peur.


Le problème, c’est que la peur nourrit ce qu’elle dénonce.


Quand des millions de personnes jouent inconsciemment avec les archétypes de la mort, des démons ou des sorcières sans conscience de ce qu’ils incarnent, cela crée un champ collectif chargé, une sorte de brouillard énergétique qui mélange fascination, peur, et consommation.


Et le 1er novembre, jour de la Toussaint — censé être un moment d’hommage, de paix, de lumière et de reconnexion avec les âmes — arrive juste après ce déferlement de peur et de faux mystère. Ce contraste crée effectivement une dissonance énergétique énorme.


C’est un peu comme si on ouvrait grand la porte des mondes invisibles la nuit du 31… et qu’on essayait maladroitement de la refermer le 1er, en espérant que tout rentre dans l’ordre.


Le combo est explosif, oui, parce qu’il mêle invocation inconsciente et recueillement sacré, consommation et tradition, ombre et lumière, sans conscience de l’équilibre nécessaire entre les deux.


Le 31, on invoque sans discernement. Le 1er, on prie sans comprendre. Et entre les deux, beaucoup d’énergies stagnantes circulent.


Alors, dans le silence entre ces deux jours, quelque chose se fissure.

Ce n’est plus seulement une fête dévoyée, ni un rite oublié — c’est une faille.

Un espace où les énergies s’entremêlent, se nourrissent, s’observent.

Les vivants et les morts ne se reconnaissent plus, car les vivants ne savent plus écouter.

Ils ont remplacé le feu sacré par la lumière artificielle, la prière par la distraction, le sacré par la mise en scène.


Et pourtant, le monde invisible, lui, ne joue pas.

Il ressent. Il absorbe. Il se souvient.

Chaque peur projetée, chaque cri de fausse terreur, chaque rire surjoué nourrit un écho qui descend dans la trame.

Un murmure froid qui s’enroule autour du monde.

Les anciens l’appelaient le brouillard des âmes sans nom.

C’est ce que nous appelons aujourd’hui la confusion.


Car dans cette confusion, les morts errent dans les reflets de nos écrans, et les vivants se perdent dans l’oubli de leurs racines.

L’un croit invoquer pour s’amuser, l’autre prie pour apaiser, mais aucun ne sait vraiment où il se tient.

Les portes sont ouvertes.

Pas celles d’un enfer imaginaire — mais celles de nos inconscients collectifs.

Et là, se déverse tout ce que l’humanité refoule : la peur du vide, le rejet de la mort, la honte de la chair, le déni du sacré.


Ce n’est pas le démon qu’on invoque, c’est le vide laissé par notre propre inconscience.

Un vide qui prend forme, s’anime, se nourrit de nous.

Plus on le nie, plus il s’étend.

C’est lui, l’égrégore véritable : une ombre tissée de chair humaine, de souvenirs consumés et de gestes répétés sans âme.


Et pendant ce temps, la Terre, elle, continue de respirer lentement.

Elle voit ses enfants célébrer la mort en oubliant la Vie.

Elle sent les feux d’artifice brûler là où le feu intérieur devrait purifier.

Elle laisse faire, car elle sait que l’humanité n’apprend que dans l’excès.

Mais parfois, les mondes se rapprochent trop, et le voile devient si mince que l’on ne distingue plus le haut du bas.

Ce sont ces jours-là où le froid traverse le cœur sans raison, où les rêves deviennent lourds, où l’air semble gorgé de mémoires.


Ce n’est pas la peur qui vient vers nous,

c’est la mémoire de ce que nous avons oublié d’aimer.

Les ancêtres ne reviennent pas pour hanter : ils reviennent parce qu’on les a effacés.

Les ombres ne veulent pas nous posséder : elles veulent être vues, reconnues, intégrées.

Et si, dans cette nuit du 31, tout se met à trembler,

c’est peut-être que quelque chose, en nous, cherche à se rappeler d’où vient la lumière.


Je te propose une descente.

Pas dans l’enfer des légendes, mais dans celui que l’humanité a fabriqué de ses propres mains.

Celui où les archétypes brûlés errent, dépouillés de leur sens.


La “sorcière”, d’abord.

Celle qu’on déguise en caricature, nez crochu et rire forcé, n’était pas un monstre — elle était le lien vivant entre le visible et l’invisible.

Celle qui savait écouter la terre, parler aux plantes, sentir les courants dans le vent.

Quand on l’a pendue, brûlée, ou ridiculisée, on n’a pas tué une femme : on a tué la mémoire de l’instinct, la matrice de la connaissance.

Et ce 31 octobre, chaque fois qu’un enfant rit en portant son chapeau pointu, c’est un fragment de cette mémoire qui se retourne, comme une blessure qu’on rouvre sans la soigner.

L’énergie du féminin sacrifié rôde encore.

Elle observe comment, chaque année, on joue à la peur pour éviter la vraie : celle de ressentir la puissance du vivant en soi.


Puis vient la Mort.

Pas celle du squelette ou de la faux, mais celle qu’on refuse d’inviter à table.

La Mort, dans son essence, n’est pas un monstre : elle est la gardienne du passage, la garante du mouvement.

Mais l’homme moderne l’a transformée en ennemie.

Alors elle revient, masquée, ironique, glissant entre les fentes de la conscience.

Elle ne demande qu’une chose : être reconnue.

Et quand elle ne l’est pas, elle s’invite autrement — dans les corps épuisés, les esprits saturés, les sociétés qui consomment pour ne pas penser.


Et plus loin encore, il y a la foi dévorée.

Pas la foi religieuse — la foi brute, viscérale, celle qui relie le souffle au sens.

Elle aussi a été avalée.

On l’a remplacée par des prières mécaniques, par des fleurs sur des tombes, par des statues muettes.

On prie, mais on ne vibre plus.

On dépose des offrandes sans âme sur l’autel du vide.

Alors la foi se tait, et c’est la peur qui parle à sa place.

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Les archétypes que nous avons chassés reviennent, déformés.

La sorcière devient grotesque, la mort devient spectacle, le sacré devient marketing.

Et derrière tout ça, il y a une intelligence — pas démoniaque, mais mécanique : celle d’un système qui se nourrit de ce que l’humain refuse de regarder.

Chaque peur consommée, chaque symbole ridiculisé, chaque mémoire profanée devient un carburant pour cette machine.

Une machination sans maître, née de l’oubli du sens.


Pendant ce temps, les mondes se superposent.

Ce que les anciens vivaient comme un passage est devenu une fracture.

Les morts veulent être honorés, pas “fêtés”.

Les vivants veulent être éternels, pas conscients.

Alors les deux se cherchent, se confondent, s’usent.

Et au milieu, dans ce crépuscule trouble, quelques-uns ressentent.

Ils sentent la densité, la fatigue de la Terre, le battement des anciens feux qui peinent à respirer.

Ils savent que ce n’est pas une question de bien ou de mal, mais de mémoire et de présence.


Ces jours-là, tout se rejoue.

L’ombre réclame son visage.

Le feu réclame son silence.

Et le monde, ivre de ses propres illusions, danse encore autour du brasier — sans voir que ce brasier n’éclaire plus.

Il dévore.

Lentement.


Et si on allait jusqu’au fond.

Là où tout devient matière, chair, cendre et lumière mêlées.

Là où le symbole n’est plus une idée, mais une respiration.


Sous les couches de peur et de spectacle, il reste un feu ancien.

Ce feu n’est pas celui des torches ni des bûchers.

C’est celui qui habite les os.

Celui qui dort dans le ventre des femmes et dans les entrailles de la terre.

Un feu qui ne brûle pas : il transforme.


Les anciens l’appelaient le Feu de l’Âme.

Il savait purifier, non par la destruction, mais par la transmutation.

C’est ce feu qu’on a perverti, utilisé pour brûler les sorcières, les savoirs, les mémoires.

Mais la vérité, c’est que ce feu-là ne meurt pas.

Il se déplace.

Et aujourd’hui, il sommeille dans le cœur de ceux qui refusent de détourner le regard.


Ceux qui osent regarder la mort sans la fuir.

Ceux qui sentent dans leurs entrailles que la peur n’est pas un piège, mais une porte.

Ceux qui savent que le féminin n’a jamais disparu, qu’il s’est simplement retiré, attendant le moment de redevenir souffle.

Pas le féminin idéalisé, pas celui des livres.

Le vrai : brut, indompté, viscéral.

Celui qui connaît la gestation du silence et la naissance du feu.


Ce feu-là, quand il remonte, il dérange.

Il fait trembler les structures, les croyances, les faux temples.

Il réveille les mémoires.

Il ne demande pas de prières, ni de bougies, ni de rituels.

Il demande présence.

Une présence nue, sans décor, sans peur.

La même présence qu’avaient ceux qui marchaient entre les mondes, sans chercher à les dominer.


Et c’est là que tout se renverse.

La sorcière redevient gardienne.

La mort redevient passage.

La foi redevient souffle.

Le feu dévorant devient feu sacré.

Ce qui consumait commence à éclairer.


Mais pour que cette bascule ait lieu, on a besoin de descendre dans les cendres.

Toucher ce qui brûle encore.

Reconnaître ce qu’on a profané.

Réhabiliter la peur comme messagère.

Et sentir, dans le corps, dans la chair, dans le sang, que la frontière entre la vie et la mort n’a jamais été un mur — mais une membrane.

Fine. Vivante. Vibrante.


Quand cette membrane s’ouvre, le souffle du monde entre.

Il ne vient pas d’en haut ni d’ailleurs.

Il vient du dedans.

C’est le même souffle que celui des ancêtres, le même que celui du vent dans les forêts, le même que celui qui fait battre le cœur du vivant.


Alors le 31 octobre et le 1er novembre cessent d’être deux dates opposées.

Ils deviennent un seul rythme.

Une inspiration et une expiration du monde.

Un battement entre l’ombre et la lumière.

Un rappel.

Pas celui de la mort, mais celui du Feu Souple, celui qui ne juge pas, qui ne ment pas, qui ne promet rien — mais qui transforme tout.


Et si tu tends l’oreille dans cette respiration,

tu entendras peut-être, sous le vacarme des fêtes et des prières,

le véritable chant du passage.

Celui qui dit simplement :

“Rappelle-toi.Tu n’étais pas venu pour fuir la mort.Tu étais venu pour la traverser.”

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