Quand je regarde un morceau de gruyère, je me surprends à y voir plus que du fromage. C'est peut-être absurde, mais il y a quelque chose d’étrangement fascinant dans ce mélange de présence et d’absence, de matière et de vide. C'est comme un miroir qui me renvoie à mes propres failles, à ces zones d’ombre que je trimballe depuis des années. Ces trous… Ils me parlent. Ils racontent les morceaux de moi qui ne sont plus là, ou ceux qui n’ont jamais existé.
Ces trous, on pourrait les voir comme des défauts. Après tout, c’est ce qui manque. Et pourtant, ce sont eux qui rendent le gruyère unique, reconnaissable. Alors, je me demande, et si ces manques, ces absences en moi faisaient partie de ma singularité ? Et si c’était précisément dans ce qui me manque que se trouvait ma vraie profondeur ?
J’ai longtemps cherché à combler mes propres trous. Remplir les vides, masquer les failles. Je me suis noyé dans le travail, dans les relations, dans la quête de quelque chose qui donnerait enfin ce sentiment de complétude. Mais plus je cherchais à remplir, plus le vide me semblait béant. Peut-être qu’à force de fuir ce qui manque, on finit par en faire un gouffre.
Et là, face à ce morceau de gruyère, je ressens une forme d’acceptation qui monte en moi, une vague douce qui me murmure que ces vides font partie de moi. Que je n’ai pas besoin d’être entier pour être complet. Comme si, d’un coup, je pouvais cesser de lutter. Je sens presque un apaisement, comme si ces trous, au lieu d’être des abîmes à combler, devenaient des espaces de respiration, des endroits où l’on peut se poser.
Alors, je me demande si finalement, ce qui fait la beauté de chaque être, ce n’est pas justement cette alternance de plein et de vide. Parce que ce sont nos failles, nos manques, qui nous rendent humains, touchants. Ils révèlent nos fragilités, notre authenticité. Et ça, c’est une force. Peut-être que c’est là que se loge l’essence de qui je suis, de qui nous sommes tous.
Ces trous, je pourrais les voir comme des cicatrices. Des blessures anciennes, des manques qui n’ont jamais trouvé de pansement. Mais au lieu de les cacher, j’apprends à les regarder. À les explorer, même. Avec douceur, avec curiosité. J’apprends à voir ces trous comme des portes. Des portes vers une partie de moi que je n’avais jamais osé visiter, de peur d’y trouver trop de vide, trop de silence.

Ce silence, je le redoute parfois, mais il est là. Et si ce silence était en fait une invitation ? Une invitation à ralentir, à m’asseoir dans mes propres vides, dans ces espaces où il n’y a rien à ajouter, rien à prouver. Comme une pause. Un moment pour souffler, pour écouter ce qui se cache derrière le bruit. C’est troublant, ce sentiment. C’est comme si, au lieu de chercher constamment à combler, je pouvais enfin me permettre de rester dans le non-rempli, le non-parfait.
Alors oui, je me retrouve à penser que ce gruyère a une leçon à m’apprendre. Que la vie, finalement, c’est un équilibre entre ce qui est plein et ce qui est vide. Que je peux être là, solide et entier, même avec mes trous, même avec mes absences. C’est une sensation nouvelle, presque étrange, mais terriblement apaisante. Comme si ces morceaux de moi que je croyais manquants faisaient, en réalité, partie intégrante de mon histoire, de ce que je suis.
Peut-être qu’on passe trop de temps à chercher à se remplir, à se réparer, alors que ce qui nous rend vivants, ce sont aussi ces espaces non comblés. Et peut-être qu’accepter ces trous, c’est enfin s’offrir la liberté d’être soi, sans honte ni masque. Parce qu'au fond, je ne suis pas là pour être parfait. Je suis là pour être vrai, avec mes vides et mes pleins, comme ce morceau de gruyère, unique dans sa simplicité.
Comments