Coincé entre deux mondes
Le passage était si étroit, si sombre, que je sentais à peine l’air entrer dans mes poumons. Tout autour, c’était vivant, comme si les parois respiraient elles-mêmes la douleur. Je ne pouvais plus avancer. Mais je ne pouvais pas non plus faire demi-tour. Derrière moi, il y avait cette force implacable, invisible, qui me poussait en avant. Peut-être étais-je déjà trop loin, trop engagé dans ce chemin.
Puis le hurlement. Il venait de nulle part et de partout à la fois. Il vibrait dans l’air, résonnait dans mes muscles, bloquait mon souffle. J’étais figé, incapable de bouger, prisonnier de cet instant. La peur s’infiltrait comme une brume épaisse, rendant mes pensées floues.
C’est à ce moment-là que je les ai entendues… avant de les voir. Un bruit sinistre, comme un raclement, un suintement visqueux. Cela se mêlait au hurlement, et tout autour de moi, les murs vivants palpitaient de stress et d’angoisse, comme si l’endroit lui-même avait peur. Puis, je les ai vues. Deux crocs, luisants, froids, glissants, comme hypnotiques, avançant lentement dans ma direction, avec cette intention implacable de capturer. Impossible de fuir. Coincé entre ces mâchoires de terreur et ce passage oppressant.
Je n’avais aucun échappatoire. Pas de choix. Juste cette vérité : mourir ici ou choisir quelque chose de plus ancien, plus instinctif, enfoui au fond de moi. Alors, je suis entré dans cet état de survie. Pas la vie, mais quelque chose d’autre. Thanatos, l’abandon, la non-vie.
Quand je me suis réveillé, je ne comprenais pas. Je n’étais plus dans ce passage. Je flottais dans l’air, suspendu par les pieds. Mon corps était retenu par un géant… Un géant en bleu, avec un truc bizarre sur la tête. Ses mains gigantesques venaient percuter mes fesses, comme pour me ramener à la réalité. Et cette lumière... aveuglante, brûlante, m’arrachait de mon sommeil forcé. La douleur me ramena à moi-même.
C’est la douleur qui m’a sorti de cet état. Elle s’est infiltrée dans chaque fibre de mon être, me forçant à respirer. Et cette première bouffée d’air, rude, râpeuse, est venue gratter ma gorge et gonfler mes poumons d’une pression nouvelle. Un cri s’est échappé, instinctif, primal, libérateur. J’étais arraché de ce monde sombre, de cet endroit familier et sûr, sans choix, sans demande, balancé dans un univers inconnu, entouré de géants.
Pour vivre, je devais sentir la douleur.
Pour vivre, je devais crier.
Et c’est ce cri qui m’a marqué. Cette pression, cette violence de la naissance dans un monde où tout est pression, où tout est douleur et découverte brutale.

Des années plus tard, j’ai pris une cigarette entre mes doigts. Peut-être pour retrouver cette sensation, cette première pression qui avait rempli mes poumons. C’est là que j’ai commencé à fumer, à ressentir à nouveau cette même friction à chaque bouffée. Comme si cette sensation me rappelait que je suis vivant, que la douleur et la vie sont intimement liées.
Je suis devenu claustrophobe. Chaque espace clos, chaque coin étroit, chaque sentiment d’être piégé me rappelait ce passage. J’étouffais à l’idée même d’être enfermé, sans possibilité de m’échapper.
Je suis devenu une tête brûlée, toujours à courir après quelque chose d’invisible, toujours en quête de mouvement, comme si l’immobilité était la mort. Et peut-être que, d’une certaine manière, elle l’était. Parce que, sans mouvement, je meurs.
Je suis devenu un être de la nuit. Parce que dans le noir, il y a une vérité qui ne se cache pas. Dans la nuit, on peut se confronter à soi-même sans filtres. C’est là, sous le ciel étoilé, que je pouvais trouver un peu de paix, un peu de cette liberté que je cherchais.
Mais cette peur, ce souvenir d’être coincé, m’a suivi partout. Comme une ombre silencieuse. Elle s’accrochait à moi dans les moments de doute, dans les instants de solitude, me rappelant que, parfois, la seule chose qui te pousse en avant, c’est cette douleur, cette pression inévitable.
Et dans tout ça, je me suis rendu compte que je n’étais pas instable. Que ce n’était pas un déséquilibre, mais la vie elle-même. La vie est mouvement. Elle est douleur, elle est souffle, elle est pression. Tout comme la terre tourne et que le cœur bat. C’est ça, la stabilité dans l’instabilité. C’est ça, la vie.
Je suis la vie.
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