Vivre avec soi-même, c’est déjà tout un programme. Il y a ces moments où l’on pense avoir enfin trouvé cet équilibre, ce sentiment fragile de paix intérieure, de se sentir complet. Et puis, un jour, quelqu’un entre dans notre espace, quelqu’un avec ses propres envies, ses propres besoins, son propre rythme. Alors tout se bouscule. Parce que cohabiter avec soi-même et avec les autres, ce n’est pas la même histoire.
Dans ces moments-là, c’est comme si une petite voix surgissait dans mon esprit : « Est-ce que tu restes toi-même ou est-ce que tu glisses doucement vers ce que l’autre attend de toi ? » C’est un combat intérieur, presque silencieux, mais bien réel. J’oscille entre l’envie de me préserver, de rester entier, et la peur de créer des frictions. Chaque compromis, chaque geste pour ajuster ma manière d’être, je le ressens parfois comme une légère érosion de qui je suis. Mais comment faire autrement ? Comment avancer à deux sans se diluer, sans perdre ce noyau qui fait que je suis… moi ?
Il y a des jours où ça va, où l’harmonie semble se poser d’elle-même, comme un voile léger. Je me sens entier, je me sens moi-même. Mais d’autres fois, les doutes s’insinuent, et ils laissent une empreinte lourde. Je me demande alors si je suis en train de m’oublier, de trop m’adapter, de jouer un rôle pour rendre la cohabitation plus douce. C’est comme marcher sur un fil tendu au-dessus du vide, en équilibre entre la fidélité à soi et l’adaptation à l’autre. Chaque faux pas pourrait me faire basculer dans l’un ou l’autre, soit dans l’isolement, soit dans la dépendance.

Et puis, je ressens aussi cette fatigue émotionnelle. Car, au fond, être soi-même, c’est un travail de tous les jours. C’est accepter ses défauts, ses doutes, ses failles, tout ce qui fait de nous des êtres imparfaits. Et cohabiter avec quelqu’un d’autre, c’est exposer tout cela au grand jour. C’est une mise à nu, sans armure, face à un autre qui, parfois, regarde ces failles sans les comprendre. Par moments, je ressens cette vulnérabilité, ce besoin de me protéger, de me replier en moi-même. Et pourtant, il faut avancer, trouver ce point de contact où je reste moi, et où l’autre peut aussi être lui-même, sans qu’on empiète l’un sur l’autre.
Dans ces instants intenses, je me demande si cette danse ne repose pas sur une illusion. Peut-être qu’il n’est pas question de fusionner ou de se fondre dans l’autre, mais plutôt de coexister, comme deux entités entières, côte à côte. Comme deux cercles qui se frôlent, qui se touchent, mais qui restent distincts. C’est un peu comme si, pour rester moi-même, je devais tracer mes propres contours, trouver mes propres frontières, et les respecter. Mais l’autre doit aussi tracer les siennes.
Alors, petit à petit, j’apprends. J’apprends que cohabiter, ce n’est pas tout donner ni tout prendre, mais trouver un espace commun où chacun peut exister pleinement. J’apprends que rester soi-même, ce n’est pas une victoire égoïste, mais un respect de l’autre. C’est un équilibre fragile, parfois douloureux, mais profondément humain. Parce qu’au fond, être soi-même, tout en laissant l’autre être lui-même, c’est peut-être la forme de cohabitation la plus authentique.
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